INTERVIEW dans ROCK CRITIC N°14 par GEANT VERT avec un beau portrait par BENITO (à la suite de cette interview).

En français dans le texte:

DENIS GRRR : L’ART BRUT ET SANS VASELINE

Denis GRRR apparaît aux confins des années 80 dans un univers plus bar rock que baroque. D’où vient-il, et qu’est-ce qui le pousse vers cet univers de gueules - pour la plupart, déjà cassées par la vie ? Au fil des concerts, nombreuses seront les personnes à croiser ce personnage d'apparence joviale et toujours partant pour une bonne tranche de rigolade. Et puis, pour la plupart d'entre elles, ce sera le choc de la découverte de l'Art GRRR avec trois consonnes répétées qui, n'ayons pas peur de paraphraser Baudelaire, compriment le coeur comme un papier qu'on froisse. L'Art GRRR, c'est un paysage qui pourrait servir de toile de fond à la Divine Comédie de Dante Alighieri si ce dernier avait été photographe. Tour à tour illustrateur, décorateur, plasticien, GRRR a touché à tout dans le seul but de domestiquer tous les outils nécessaires pour graver dans le marbre noir d’Osnabrück la version définitive des Sept pêchers Capitaux. Artiste hyperburnéen affilié au mouvement Druillesque, le monde des vivants lui doit un aperçu de l'enfer au stylo Bic rouge qui incite le commun des mortels à vivre moins vite pour mieux apprécier la vue sur l'incinérateur d'ordures d'Ivry.

 Comment en arrive-t-on à planter son Bic au sommet du Mont-Blanc ?

Le fait de découvrir les choses par soi-même ; malgré une trajectoire bordélique et pas forcément les bons endroits pour se poser sur une table. Peu importe il y avait aussi les murs. On essaie de rencontrer des gens de la même famille musicale et idéologique. Dans la foulée, le magasin de disques Terminal Rds (rue Véron à Paris) où j'ai rencontré Amédée et Mickey de MST, première pochette de 45t en 87. Tout démarre là. En parallèle, des flys pour le New Moon et les Barrocks et bien sur les zines comme Atomik en 1986. Grosse motivation autodidacte. L’école du noir et blanc était de rigueur vue que le moyen de reproduction pas cher était la photocopie. Mais couleurs sur Paris quand même !

 Qu’est-ce qui vous amène à vous exprimer par le dessin ?

A l'adolescence je faisais plutôt des gros nez ; tandis qu’un autre gars du bahut donnait dans le dessin façon Strange. Et puis Metal Hurlant. Là, en plus du choc visuel, ma curiosité s’en est trouvée piquée. Je me suis retrouvé avec une vision à 360 degrés sur tout un tas d’univers encore plus barges. Ma tête était devenue une lessiveuse dans laquelle je faisais bouillir tous ces nouveaux styles sur fond de rock’n’roll hurlant. J’étais fasciné par certaines pochettes des 33 tours avec cette brutalité plein ta gueule ! La première achetée a été Overkill de Motörhead. A partir de là, Je voulais faire de la pochette d'albums terribles. En 1991, c’est chose faite avec les cultissimes compilations Masters of Brutality I & II. Et puis est arrivé le CD et son format minable…

 Pourquoi le choix du stylo Bic ?

La gravure fait le lien avec mes monochromes des débuts. J'ai toujours fonctionné avec un système de hachures pour les volumes. C'est son côté spontané qui m'a attiré, tu poses ton cul, allumes la table lumineuse ou la lampe et tu démarres direct sans préparations ni mélanges de couleurs. L'expression du détail malgré la pointe médium, intensifier une vulve ou une mitrailleuse Vickers. Mais le Bic est vicelard car c’est mort de chez mort au premier plantage. Pas moyen de passer du blanc ou de l'acrylique pour corriger, l'encre refait surface. Je ne fais pas ce dégradé hyper réaliste, aucun intérêt. Et c'est un bon entraînement pour la véritable gravure auquel j'aspire. Là aussi, pas de droit à l'erreur.

 Quand et comment découvrez-vous vos goûts pour le macabre ?

Au départ je lisais de la SF sans forcément connaître les auteurs : je choisissais l'ouvrage en fonction de l'illustration. Et puis j’ai découvert la fabuleuse collection NEO illustrée par J.M Nicollet avec ces diableries, ces rouages noirs et quelques prothèses. Bien des années après, lorsque mon style est devenu plus mature, j'ai incorporé ces résultat de dommages de guerre ou de perversité. En y repensant son « Ténébreuse Affaires » s'est bien fiché dans mon esprit, la belle affaire...

 Vous considérez-vous comme un pornographe ?

Certainement ; mais pas dans le sens des ouvrages classiques. Plutôt dans celui du sexperimental. Illustrer L'histoire de l’Œil de Bataille ou Les Onze Mille Verges d'Apollinaire me plairait. Je réalise des sex-libris - vignettes dont j'apprécie le côté intimiste et le plaisir de les collectionner, le petit plus d'un curiosa.

 Pensez-vous que le style rétro de Chair de fer puisse être considéré comme un avertissement à un passé qui ne va pas tarder à revenir en force ?

Je ne l’espère pas du tout !! J'exprime juste une esthétique tout en dénonçant la stupidité et l'avidité. L'attirance de ce côté chair suave et tiède contre ce métal oxydé et froid, l'un pénétrant, l'autre l'enveloppant. De là on peut tout imaginer...

 Dans l’univers de la musique GRRR, il y a le punk, le psycho, le métal, que des tribus d’agités où la musique relève du traumatisme acoustique. Qu’est-ce qui vous attire dans toute cette faune bizarre ?

Le hurlement lointain de l'indépendance, d'un rejet de la chose imposée. Une manière de se motiver la journée en bossant chez soi avant d’être ensemble aux concerts. Il y a aussi du cajun, du classique, du Magma, un pet de soundtrack et de jazz. Selon l'humeur et le sujet que je traite. Quand j’ai réalisé la pochette du groupe belge La Muerte en 1993, le son complémentaire qui m'accompagnait était de la musique de films.

 Parlez-nous de l’enchevêtrement des corps dans un pogo ? Faites-vous un parallèle avec le sexe, la guerre ?

Pas particulièrement, si le pogo est une guerre personnelle, le stage-diving lui est partagé : comme une partouze suintante et sonique !

 L’art de Denis GRRR est violent. Est-ce que cela vous arrive de devoir composer avec des personnes choquées par vos différents travaux.

Lors de précédentes expos, une chose m’a amusé. Les femmes étaient plus intriguées. Elles posaient des questions tandis que leurs bonhommes restaient en retrait car ils rejetaient, pour certains, ce que je présentais. Franchement le public se démerde et aller dans son sens n'a aucun intérêt. C'est le faiseur d'image qui doit proposer. Par contre, pour la réalisation d’une pochette de disque, je demande toujours au groupe ce que je ne dois pas faire pour préserver la cohésion. Parfois la contrainte est un élément de création. Pour ce qui est de mon travail propre, je m'en contrefous, la seule limite étant la mienne, j'essaie de m'explorer de la cave au grenier ! D-GRRR, aultre ne veut être !

 Avant de faire Chair de fer, qu’elle a été le parcours qui conduit l’artiste à redessiner une nouvelle vision d’une guerre qui s’est achevée il y a plus d’un siècle ?

Il y a eu plusieurs facteurs. En 2014, pour le Centenaire de la grande boucherie, j'eu envie de faire Der Stalhelm Schlucken, qui a été autant pour moi l’occasion d’illustrer une scène de fellation sur une gueule cassée dans un bordel que d’afficher mes goûts pour les artistes dégénérés comme Dix et Grosz qui ont peint, voire dénoncé cette ruine. Et puis un accès sur les archives photographiques du grand père aviateur en 17 dans la Spa 26 – l’Escadrille des Cigognes. Dans les affaires, j’ai retrouvé un cahier d’époque qui n'avait pas été utilisé. Quand j’ai vu ces pages couleur tabac de cent d’âge, et complètement vierges de toute écriture, le Bic s'imposait. Sur cette surface satinée, la bille s’est mise à glisser toute naturellement et je m’en suis servi pour certaines illustrations. Je voulais marquer le coup : raconter ma vision de cette saloperie industrielle. Du sang, du foutre, de la peine, de la pine, de la gloire, de la pisse, un schrapnell en pleine poire à décharger. Sans prendre parti pour aucun des protagonistes. Et la concrétisation grâce à Xavier de Timeless Editions.

 Pour représenter la violence, les artistes ont recours au cauchemar, au grotesque ou à l'humour noir. Où vous situez-vous ?

Cette violence se retrouve dans le morbide, le sexe, les étrangetés de l’être, l'anatomie mutée, la cicatrice, le grotesque, l'humour noir, l'amour à mort. D'ailleurs tous ces thèmes seront présentés pour une future expo chez Manjari & Partners début 2020. Tous travaillés au Bic rouge médium dans un esprit de gravure du XV/XVIIe avec des additifs modernes, et en inclusion ma vision des 7 péchés capitaux. Un sujet que je traite depuis un bon moment évoqué par Brueguel, Bosh... qui relate les tourments d'une époque. Les danses macabres m'ont entrainé dans ce tourbillon fantastique du Eros et Thanatos et d'autres maîtres graveurs comme Schongauer, Dürer, Beham, J.H. Muller aux déesses callipyges, Goltzius et ces super héros noueux énervés. Une richesse artistique fabuleuse et excitante dont ne je suis que le modeste héritier.

 Qu’est-ce qui pousse une personne à vivre au jour le jour dans un univers qu’on croirait dessiné par Joe Coleman ?

Demande à Joe ! C'est flatteur ! L'esprit très prenant de la collection, notamment d'ouvrages érotiques, d'instruments chirurgicaux, d'insectes et autres bizarreries, un poil de Cabinet de Curiosité, c'est nourrissant et ça complète mes passions de gosse. Et je ne parle pas de ma boulimie picturale.

 Avec le recul, considérez-vous votre démarche artistique comme un bienfait pour apaiser les tourments de l’esprit ou êtes-vous un vrai psychopathe ?

Rien de plus chiant que les clowns tristes ! Mais oui je pense sincèrement qu'il y a une part de ça, je me sers de ce génial médium pour balancer à la face du monde ma colère (GRRR) avec un trait incisif, brutal et sincère toutefois teinté d'humour noir. Psychopathe, trop flemmard pour ça !

 https://www.facebook.com/BaronDenisGRRR

https://www.instagram.com/denisgrrr.art/

CHAIR de FER : https://www.timeless-shop.com/ (chronique dans le RC 13)


 RC 14 02 3 Denis GRRR Sept.Oct. nov. 2019